Presse & Critiques d'Art

 

 


 

 

Artension n°134 Novembre-Décembre 2015 rédigé par Christian Noorbergen

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Vingt-cinq œuvres (peintures, dessins, sculptures) signées Jean-Michel Solves, sous le signe de la maternité, ont pris place sur les cimaises de la galerie Alice Mogabgab. Énergie sereine pour magnifier, à travers l’une des figures tutélaires de la vie, les éléments fondamentaux de la nature...

Comme des cathédrales à la Huysmans, avec flèches en dentelles de pierre fendant le ciel, ou englouties dans la brume du matin, comme des poupées d’un théâtre d’ombre balinais, avec jupe bouffante, émergent du ventre de la terre ou d’une frêle embarcation livrée au gré des eaux solitaires, des formes fugitives, fugaces. Mais ces silhouettes affrontent avec détermination le destin et la furie des vents.

Elles sont saisies, comme dans un piège ou une trappe, au vol d’un regard. Ce sont là les puissantes invocations et évocations des mères, refuge des enfants et axe de la vie des hommes... Force protectrice et nourricière qui s’érige et se dresse tel un totem et qui puise son pouvoir, depuis la nuit des temps, des racines, du noyau, du limon de la terre. D’ailleurs, les couleurs utilisées par l’artiste, ce marron délavé, cet ocre rougeoyant, ces teintes brunâtres comme un brou de noix, ces nuances de tronc d’arbre où toute moisissure est défunte, sont autant d’hommage et de référence à la richesse de l’essence d’une planète aux transformations multiples, aux métamorphoses déconcertantes.

Né en 1955 à Paris et diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts de la Ville Lumière, depuis 1987 Jean-Michel Solves n’a pas cessé de plaire au public et de recevoir les critiques les plus élogieuses. Pour des œuvres au parcours initiatique et qui ont pour titres (entre autres) Territoires, Scribes, Mémoires, Empreintes.

Avec beaucoup de poésie et un sens subtil de l’utilisation des mots, on l’écoute parler de l’intimité même de son atelier, de sa peinture:
«Jonchant le sol, la toile est tendue, libre, humide, afin d’accueillir le jeu des couleurs, le frôlement du balai, de la brosse, et de la main qui s’élance. Couche après couche, le corps entier s’implique dans une danse aux gestes parfois fluides, parfois tenseurs. En puisant dans l’invisible un rythme saccadé ou limpide de sérénité, il va préparer dans ses eaux la place de la figure dans l’espace de la toile ainsi parée dans ses nuées terrestres et primordiales.»
Retour vers ces œuvres habitées par le silence, mais chargées d’éloquence, de symboles, de métaphores et de signes. Si l’omniprésence de l’image de la mère est une évidence, avec ses contours massifs et imposants, le ciel, l’air, le feu et l’eau, autrement dit les éléments incontournables et vitaux de tout ce qui fait la force de la vie, sont aussi là, savamment éparpillés.

Ces éléments facilement démasquables, car palpables et tangibles, palpitent, soutiennent, renforcent et menacent. L’être est à la fois porté et assailli. Sa fragilité n’est qu’illusoire. Tout comme sa puissance! Pour ces mixed media où le noir est de goudron, le blanc a le crémeux d’une chaux pâteuse, l’orange la phosphorescence d’une flammèche vive, l’image suggérée reste délibérément elliptique et allusive. Sur des paysages de fin du monde et pas forcément d’apocalypse, ces femmes à l’enfant (parfois à deux enfants, et la référence à la Vierge à l’enfant reste une option ouverte mais guère exclusive) hantent les toiles comme un centre, une convergence et un point lumineux.

Autour d’elles, rayonnantes d’une énergie souveraine, naît un feu d’artifice composé essentiellement de lignes, de tracés, de points au «dripping» parfois «pollockien »...

Mais ces personnages féminins, à la tête d’un extraterrestre sondant les lieux, sont aussi représentés dans une embarcation le long de fleuves vaguement hostiles. Remontée ou descente des flots, nul ne le saura jamais... Assises, le regard perdu dans l’horizon, ces mères courage sont le symbole même d’une intrépide traversée humaine. Avec en coin de la toile une croix. Pas forcément une lecture religieuse chrétienne, car la croix c’est aussi l’union des contraires, un symbole d’orientation, la rencontre de la verticalité et l’infini de l’horizon.

En touches légères et fermes, en une narration conçue comme une partition de musique (abonde l’équilibre du blanc et du noir), soutenue par une harmonie particulière et moderne, ces toiles, dans leurs thématiques récurrentes et obsessionnelles, sont d’une suprême élégance. Aussi bien dans le plaisir donné au spectateur de décrypter l’œuvre que de savourer la richesse de détails visuels d’une grande finesse.
Prolongement de cet esprit narratif sont les sculptures. Dans une représentation figée, aux allures de silhouettes vaguement incas ou de madones des pays d’Amérique latine, reposant sur des socles trapus et ronds, elles font un cortège majestueux aux toiles et aux dessins dont elles sont des sœurs jumelles, mais en trois dimensions. De bronze, de terra cota, de polychrome et ciment.
Ce statuaire est l’incarnation de la vision graphique et picturale de l’artiste. En couches granulées et rêches, s’élevant en forme conique avec l’amplitude des robes des prêtresses aux offrandes païennes (ou tout autre), la tête, boule ovale à l’intersection du regard ente firmament et sol, ces personnages venus de tous les temps parlent du mystère de la vie. De sa force et de sa vulnérabilité. En termes qui oublient les détails oiseux et renvoient, avec un éclat sans ostentation ni fioritures, à l’essence des êtres et des choses.

L’exposition « Mother and child » de Jean-Michel Solves se poursuit à la galerie Alice Mogabgab jusqu’au 22 février. 

 

 

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BEIRUT: Massive, coarse, uneven and intriguing. These words spring to mind when looking over the work of French artist Jean-Michel Solves, now on display at Alice Mogabgab Gallery.

“Mother and Child” is comprised of nine sculptures, accompanied by 16 mixed-media paintings and sketches. Meandering through the gallery’s immaculate space, onlookers will find variations on a theme of feminine figures arrayed in multiple situations. Whether holding a child, sitting, gazing at the horizon or standing in a vessel, these figures stand as vignettes from the artist’s vision of motherhood.

Solves’ representation of motherhood is not typical or clichéd in any way – large bosoms and childbearing hips are nowhere to be found. These figures hold intermediary points between representation and inspiration.

“Layer after layer, the whole body takes part in a dance of gestures,” Solves remarks in the show’s catalogue essay, “fluid at times and more tense at others.”

Though entitled “Temple,” the three sculptures of Solves erected in one corner of the gallery are evidently not meant to depict religious figures. Insofar as these brown, ochre and white polychromatic cement figures are evocative of temples, it is because their conical shapes – with their thick bases tapering to head-like ovoid points – are redolent of the quality of architecture.

Since Solves is fond of representing the feminine figure, these sculptures may represent the temple of motherhood – hearkening back to the animist practice of worshipping the feminine form as the vessel of life. The use of cement emphasizes the importance of weight, of being anchored in the ground – with some assistance from industry – as though these sculptures are bridges between earth and sky.

Solves’ paintings also evoke something religious – albeit not one of the revealed religions.

In the mixed-media work “La Barque” (“The Bark”), 128x226cm, viewers find the silhouette of a feminine figure standing on a boat. Though both the figure and her vessel are depicted in black – and with an impressionist’s feeling for figurative precision – there is nothing obscure about this work.

In the shape of the figure’s head some may find an afterimage of unearthed Phoenician figurines, or some techniques of African sculpture. Her body seems to form a contiguous unit with her bark, a single entity or element.

The background wash is composed of black, yellow, brown and orange spots, as if Solves sprayed paint over the canvas. The effect of this shattered representation is to recreate primitive depictions of a nighttime sky, astral or solar explosions, giving the canvas a mystical quality.

The mixed-media work “Cathedrale” (‘Cathedral’), 231x153 cm, appears to represent an elongated female figure depicted in white silhouette. She might be holding two children. Alternatively, the piece could represent a totem-pole-like structure, with three distinct figures at the top.

The work’s totemic quality is accentuated by the figure’s apparently being attached to the ground, or growing from it. To the left of the figure, a black cross projects from the top of a hill. The white figure appears to be gazing upon the cross, which, it seems, is not meant to represent Christianity, but more a general vision of the horizon and guidance.

The ink-on-paper work “Empreinte” (‘Imprint’), 120x66 cm, depicts that same type of elongated feminine figure, this one with her hands raised from the elbow. The drawing appears to have been augmented by the addition of some oily substance, which provides a rudimentary background or patina to emphasize the figure’s importance.

Solves’ works are postcards from a mystical and sentimental world, in which the mother figure is sanctified while posing questions.

Jean-Michel Solves’ “Mother and Child” are up at Alice Mogabgab Gallery until Feb. 22. For more information, please call 01-210-424.

 

 

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تشكيل 
معرض الفنان جان ميشال سولف ميثولوجيا فنية لها توزيعاتها الفنية
الاربعاء,30 كانون الثاني 2013 الموافق 18 ربيع الأول 1434هـ 




من المعرض
يوظف «جان ميشال سولف» الميثولوجيا في فن نسبي ذي نمط أسطوري يغلب عليه أسلوب التعتيق، لتبدو سطوح اللوحة كقطعة أثرية لها رموزها التاريخية، فالمسحة اللونية الترابية الباهتة تعطي الأحساس بإشارات رمزية تعكس صوراً للحضارات القديمة أو لأساطير ممزوجة بلغة بصرية تجعلك تشعر أنها لغة الفراعنة الأولى. فتتساءل هل هذه قطع أثرية نفض «جان ميشال سولف» الغبار عنها؟.. أم أنها صور (شامانية) غير منتظمة قد تاه التاريخ عنها. فمواضيع لوحاته تسحبك نحو أساطير غير مقروءة من قبل لكنها ولدت بكراً في لوحاته، فالوجوه المبهمة والأشكال العامودية المرتفعة تكاد تكون مسننة ذات جماليات ميثيولوجية تروي طقوساً كهنوتية ترافق أحتفالات عميقة زمنياً، وكأن جان يمارسها فنياً ، فيربط بين اللون والتاريخ وبين الشكل والأسطورة، فننغمس في فك رموز كل حركة بطيئة زمنيا، كأنه يستعمل مواداً طينية ثقيلة بطيئة الزمن. أو هذا ما تشعر به وأنت تتأمل لوحاته، فالمكان عند «جان سولفس منفصل زمنياً والأبيض يعطي الأحساس بمومياء لفها بضوء شفاف كأنه وقفة موسيقية لها تراتيلها الخالدة، فنتساءل ما هذا هل هذه آلهة تاهت؟. أم أن الضوء في هذه اللوحات اختفى؟. أم أن الظل وخفوته هو اشعاعات مقدسة؟. لتشعر كأنك في كهوف الانسان الأول.
علامات ورموز لها صبغة نحتية ومواد توحي بالرمل والحجر والسيراميك، ولون برتقالي انطباعي يوحي بمادة زنجارية تتراءى لك صدئةوكأنه ينسج حضارة فنية تلغي مواد الغواش والأكرليك والزيوت، لأنه يكشف عن جذور معتقدات غاص في أجوائها الخيالية وكأنه يعيش على كوكب حداثوي يتميز بالغموض، فالرؤية الكهنوتية هي محور أعماله، فالشكل يكشف عن جسد انساني قديم اختلط مع فلسفة كونية استحضرها من كواكب لم يتم اكتشافها بعد لكنها انعكاس لوجود الانسان الأول.
ايحاءات تجسد أحداثا لم تكتمل حكاياها الأسطورية، فالتحفيز الحركي للتصميم هو انزياح اللاوعي المرئي في لوحات تتميز بأسلوب فني يتكرر في أكثر من لوحة، فالدهشة لم تغادرني والخيال امتد بي إلى أجواء لها مناخاتها المقدسة، لا أنكر أن الخوف استبد بي أحيانا فهو يعيدك إلى زمن عبادة الأصنام لكن حين تتغلغل في مقاييسه الهندسية، وداخل كل مشهد اسطوري استحدثه من مواكب مقدسة وأجواء عبادات فرعونية، ومضامين اسس قبائل شامانية اندثرت وصولا إلى الساموراي تجد أنه يحاول رواية قصة الحضارات بلغة فنية تاريخية تعبيرية لها مضمونها الجمالي والتراثي بعيداً عن السائد والمألوف، لأنه يتحكم بالمتلقي فيوائم بينه وبين العمل الفني في ثلاثية مترابطة تدهشك فعلاً.
شخوص تجريدية قدمها بتجدد ودلالية معاصرة تجاوزت الغموض، وتركت الكهوف لتستقر على قماش أو ورق أو سيراميك أو لوحة بصرية سردية تنبض بالماضي والحاضر بل وتتخطى الكون. كأن البداية متعلقة دائما بالنهاية والزمن في تكرار دائم يعيد نفسه كما يعيد هو تكرار اللون الأبيض العاجي في روح لها جمالها الشبحي أو الأثيري، فالهيمنة التراثية ترجمها في حرفية ماهرة تبهر ذوق المتلقي وتدخله في ميثولوجيا فنية لها توزيعاتها اللونية وفراغات تخدم الشكل والحجم  والخطوط العامودية وما يتخللها من رموز لها وعيها التشكيلي لتتناسب مع لغة العمل الفني المرتبط بقراءة وجدانية تلامس الفكر وتتركه في حالة دهشة وعزلة تعزز من قيمة عمله في وجدان المتلقي مما جعلني اتساءل أي قدرة خفية يمتلك الانسان؟.
في لوحات «جان ميشال سولف» ألوان باردة صخرية ومعابد لم يتم اكتشافها بعد تتجاوز المألوف، وترتبط بالمقدسات الميثولوجية للارتقاء بالعقل ولاكتشاف قيمة الحواس في ابراز الوعي الفني القادر على محادثة المتلقي بصمت له أبعاده القادرة على خلق لغة يفهمها البصر كما يفهمها العقل المترجم للانفعالات التي تبرز جماليتها فناً وأدباً.
نقاط قوة ونقاط ضعف تبرز من خلال لون برتقالي ثانوي يكاد يقترب من البرونزي، وهو يمثل قوة الطبيعة الواقعية وضعف الميثولوجيا المتجسدة في فكر تتحكم فيه اعتقادات خرافية بوجود أزمنة لا وجود لها، وقد تتواجد على كواكب أخرى، فاللون الأبيض في لوحات «جان ميشال سولف» تنبعث منه أطوالا موجية تتنافس مع الألوان الأخرى، فتتشظى تاركة أبعاداً حركية في حالة انشطارية ليؤكد أن اختراق الفكر الغيبي هو حالة من اللاوعي يترجمها اللون في العمل الفني، كما يترجمها الخيال من خلال البعد الايحائي الزمني وفق معايير لها رؤيتها البصرية الجمالية.
تعبير فني خرافي مرتبط برمزية جمالية تجذب الفكر وتربك الحواس. لأنه اعتمد على غموض الشكل وتكرار اللون مع الحفاظ على الانسجام والتناغم، وحتى التعاطف مع القوى الخفية التأثيرية التي تسعى إلى الانصهار والاندماج في موضوع ميثولوجي فني تشكيلي اعتمد التعتيق والألوان الترابية، ليتوسع الخيال ويمتد زمنيا متراجعا نحو الماضي ومتقدما في سباق مع الزمن، فهل هو الوهم الخلاق؟. أم حقيقة حضارية نبني من خلالها تراثاً فنياً له أصوله ومقاييسه وألوانه؟.
يقول كلود ليفي شتراوس في كتابه الأسطورة والمعنى: «أن العقل يكون موجهاً من خلال منطق داخلي كامن في لا شعوره النشط ومن خلال حاجة لاشباع قوانين التماثل والتعارض».
فن تشكيلي جمالي يبتعد عن الجمود التقليدي، ويعتمد على المنطق الميثولوجي الحداثي من خلال عمل تراثي فني تتعدد فيه أنماط الظل  ويتدرج الضوء مما يعكس مفاهيم كهنوتية، كاتدرائية تستخدم الأساطير الدينية كرسم رمزي واسع حركياً وممتد لونياُ. فالخطوط العامودية تشكل لغزاً تصاعديا متصلا ذهنيا بالموجات الطولية للون الواحد وهو الأبيض كحاجز وهمي لا تخترقه الموجات اللونية الأخرى، ولكن دون أن يتخلى عن المفاهيم الكونية المتماسكة التي تجسد علاقة الانسان بالالوهية والمقدسات التي تتواجد في قواميس ميثولجوجية ما هي إلا اختلاق فني مبدع يضىء على جوانب تراثية مغيبة عن الكثير من الأعمال الفنية العربية.
معرض الفنان « جان ميشال سولف»  في غاليري أليس مغبغب ويستمر حتى 16 شباط 2013.
ضحى عبدالرؤوف المل


Artension, n°113 Mars-Avril 2012 Apostolat rédigé par Jean-Michel Solvès

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Artension, n°19 Septembre-Octobre 2004 article rédigé par Lydia Harambourg

  

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Françoise MONNIN,
Historienne d'art, Journaliste (critique d'art et grand reporter), Commissaire d'exposition, Auteur et Rédactrice en chef d'Artension

 

à l'occasion de l'Automne des Transis à Bar le Duc en 2000 

Barque Mémoire 2000

"En hommage à Ligier Richier, j'ai souhaité participer à l'Automne des Transis, avec un regard sur le passage, la ruine, la métamorphose, la décorporalisation au profit du mystère entourant l'existence. Cette pièce appartient à la série des "Portes". Une barque aux articulations ruinées, où le passeur lui-même, miné de sa mémoire est installé sur une surface délimitée, tel un autel, où le parcours du sacrifice au visible n'existe qu'en devers du chant des forces invisibles avec lesquelles la conversation révèle l'immense et fragile territoire du temps des hommes."

Ces mots, écrits par Jean-Michel Solvès le 23 juin dernier, définissent l'œuvre monumentale qu'il présente à Bar-le-Duc. Ils évoquent aussi l'ensemble de l'œuvre de ce sculpteur, concentré sur la représentation du silence de ceux qui cheminent. Ils sont en barque, en chariots ou simplement dressés, compacts, tels des stèles mégalithiques, des sarcophages égyptiens; des bouddhas en méditation. Ils sont patinés, et la courbure de leur nuque révèle la force du temps qui est le leur. C'est à travers lui qu'ils cheminent et c'est pour cela qu'ils ne font pas de bruit.

Françoise Monnin 2000

 


 

 

Lydia HARAMBOURG,
Historienne, Critique d'art, Correspondante de l'Académie des Beaux-Arts, Ecrivain, Commissaire d'exposition,
Chroniqueuse des expositions de La Gazette de l'Hôtel Drouot

 

préface de PRÉCIEUSES "voices" Catalogue 1999

 

Dans le silence de l'atelier, un peuple s'est mis en marche. Un voyage commencé dans la nuit des profondeurs et qui suit un chemin mystérieux ouvert dans l'espace interne du lieu géniteur. De corps en corps, d'empires balisés en "territoires", Solvès nous convie à partager le champ de son intimité aiguë. Il est celui qui dessine une cartographie établie à l'ombre des astronomes d'Alexandrie, dans leur entreprise d'édifier une cosmologie fondatrice. Ce qui s'élabore dans le secret d'une création quotidienne n'est pas moins qu'un rite pour une mise en ordre des formes et des signes. La quête d'une indéfinissable plénitude mémorielle n'a de sens que par rapport à la saisie d'une incarnation ineffable. Le gisant s'est dressé. L'horizontalité de la barque s'est transformée en verticale tentée par la voûte céleste, dans une poursuite de l'affranchissement du monde.

La vie palpite, libère un flux ininterrompu, à l'écoute du temps inexorable qui laisse l'empreinte de son passage. Guetteurs vigilants, les grandes figures sont là en attente. Un peuple de silence, hommes et femmes confondus, aux visages indifférenciés, enveloppés d 'une gangue sous laquelle sourd une énergie qui est présence. Leur concentration hiératique et solennelle, figée dans la solitude s'identifie à "l'acte d'apparaître". Ces figures s'imposent dans notre champs de vision tout en habitant l'espace environnant. Regroupées, elles délimitent des portes à franchir qui les font passer des "territoires" à "Malkuth", le royaume du visible.

Aujourd'hui, les scribes conservateurs de la mémoire et les vigies, les stylistes s'arrachent au limon originel pour en extraire la pulsion, le rythme qui leur permettront d'entreprendre un voyage hors des frontières imposées, non pas dans la fureur et le tumulte mais dans le silence d'un fracas. "Écoute le souffle de l'espace, le message incessant vit de silence" dit Rilke. Dans la lumière aveugle des sphères et des astres, la figure prend possession d'une parcelle d'espace invisible, transparent dans son infinitude. Cette appropriation passe par la marche et le passage est symbolisé par l'ouverture, l'arc qui désormais sépare les jambes. Monté sur un chariot, le personnage s'expose à découvrir l'infiniment oublié et le démesurable.

Précieuses "voices" ouvrent sur la dimension physique du monde. Le seuil scande des territoires, une limite, le passage d'un état à un autre que les figures monolithes recueillies sont en droit dès lors de franchir. L'imaginaire comme la mémoire ne sont ni moins grands que la surface du cosmos. Territoire, mémoire sont encore le sujet même de la représentation. Car malgré leur désir enfoui de se libérer de leur carapace matérielle, les solitaires souverains gardent leur secret. L'apparent et le caché, le plein et le vide entretiennent l'énigme d'une anthropomorphie transcendée. La verticalité du corps a révélé sa nature profonde. Celle d'une matérialité brute alliée à des forces tapies, frémissantes sous l'enveloppe ravinée, rocailleuse de cette figure au visage projeté par un port tendu, qui la rend familière et insaisissable dans notre tentative à l'identifier à travers un regard qui ne peut pas être autre que le nôtre. À l'écoute de l'écoulement du temps, chaque silhouette, processionnaire ou gardien, sentinelle en attente d'un accomplissement qui ne peut se situer qu'au delà du temps et du lieu, s'est figée dans ce qui se révèle être une puissance tutélaire.

Dressée de proche en proche, pour nous guider, la figure devenue "déesse" emprunte une voie incertaine. À la croisée de tous les itinéraires possibles, sans limite, l'empire s'édifie. Les chariots, les barques l'ont rejointe. Là commence le chemin, sans nom parce que toujours le Même. "Mémoires" et "Roues" ont pris possession du jardin. Unis, ils sont l'avers et l'envers d'une image dont l'approche demeure inviolable. Solvès atteint avec ses récentes sculptures, une ambivalence fondamentale qui vaut pour toute figure unifiante, à savoir ici l'immobilité du mouvement. Ou encore ce qu'il appelle lui-même "l'écoulement linéaire". Des strates s'amoncellent dans la fulgurance du travail, creusant des rythmes qui se lisent comme projection du devenir. L'œuvre accomplie porte en elle l'écho d'un effritement, ou plus exactement l'éclipse, la disparition momentanée de la parole révélée sous les secousses du temps.Il n'est pas interdit d'entendre le bruissement du message, d'identifier le tracé perdu, effacé de la géométrie primitive.

Désormais en plein air, une nouvelle cosmogonie a pris place. Les figures s'érigent en mémoire intemporelle et immémoriale. Héritières du scribe, les "Mémoires" sont celles de l'avant et de l'après. Elle s'inscrivent dans la continuité et sont la réponse du temps de la patience et de la connaissance. L'esprit a pris corps et libère sa voix intérieure. Le questionnement perdure et le geste qui refuse l'arrêt stérile, construit une parcelle de territoire pour ces "teneurs de silence". La transfiguration en cours trouve aujourd'hui son accomplissement. Les "Mémoires" transmettent, elles sont porteuses d'un message qui délivre ce que le cœur et l'esprit conservent de plus sublime.

Techniquement, le béton patiné a évolué. Désormais teinté dans la masse, il revêt des couleurs différentes. Enfin, minéralisé, il résiste aux intempéries, acquérant dans la matière même une éternité non plus métaphorique mais réelle. Semblable et toujours distincte, chaque figure trouve sa place, soclée, surmontant une pierre ou au ras du sol. À proximité de la terre, émergée afin de délivrer ce chant de vie, profond, exalté, elle est cette mémoire qui renvoie au désir perceptible dans son parcours irréversible. Celui qu'énonce clairement le chariot constitué de bois de traverses de chemin de fer et d'acier ou de bronze. La roue, détentrice d'un fourmillement de sens, surgit de nos réserves archétypales. Roue cosmique à la polarité solaire, lunaire et planétaire, figure inhérente aux sixième et dixième arcanes du tarot et présente dans le vecteur du sceau de Salomon.

Une lente oscillation unit l'artiste au spectateur. Le créateur fait l'apprentissage de son pouvoir et témoigne de l'ambiguïté fondamentale de l'homme, soumis à l'interférence du temps, relatif, duquel surgissent les formes, les symboles identitaires. L'atelier s'est ouvert sur un champ cosmique. Les stèles humaines sans âge y dialoguent. Le foisonnement est germinatif, tout comme le phénomène de multiplicité crée l'unicité. Du sarcophage à la barque -est-elle échouée?- à la pierre levée muée en état de conscience pour entreprendre le voyage -de quelle nouvelle aventure?- le territoire plante ses repères contenus dans le reste du monde. Une intégration dans l'espace revendiquée par ces figures qui sont aussi réceptacle de la lumière.

L'horizontalité et la verticalité scellent l'accord imparable des proximités. Les "Mémoires" sont devenues à leur tour demeures. L'aube pointent et le temps est immobile l'homme est en mouvement quoi qu'il advienne. À l'écoute de l'innommable.

Lydia Harambourg, Mai 1999


à l'occasion de la publication du catalogue "Prêtresses" en 2002:

 

  

    

 

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