Publications - Précieuses Voices


Jean Michel Solvès ou Les sentinelles du silence.

"Dans l'atelier, tout un peuple d'ombres veille.

Et la même obsession des hautes stèles verticales infiniment étirées, jaillies du silence originel, nous accompagne.

Ce premier choc crée l'enceinte sacrée du lieu où le temps a cessé d'être.

Il y avait un Solvès préoccupé d'ardoise, d'acier, de bois, de résine sur toiles, de pigments. Et maintenant, il y a quête d'absolu dans ces formes hiératiques, énigmatiques, droit levées, nées d'une exigence qui trouve dans ce dénuement irréductible à tout autre le meilleur moyen de se manifester.

Rencontrons-nous ici un peuple de légendes, un peuple de mémoire? Ou s'agit-il de vivre avec la mort. Peut-être essayer de conjurer les ombres, de les faire parler?

Mais déjà leur silence hurle. Une longue vibration.

Car tous ces monuments de silence, d'étrangeté surgissent comme des mégalithes, des opérateurs magiques de célébrations, de prières.

Il y a une sévérité, un choix de forme minimale, un refus de bavardage.

Ces silhouettes paraissent venir de très loin, comme mises à jour par des archéologues pour annoncer l'avènement de l'homme, cet homme debout, vertical, ce premier signe de l'homme qui transcende les apparences.

On voit dans l'inflexible attitude de ces figures, la frontalité des formes d'Égypte, de l'art funéraire conçu comme un double de la vie, la plus haute incarnation.

Une solitude majestueuse et une fragilité des profils minces.

Quand tout, autour de nous, conspire à détruire la personne, ici, quelques grumeaux gris de matière, arrachés au vide, suffisent à dresser la totalité de la présence humaine (et même les figurines de bronze répètent les grandes ombres).

Dans ce travail de la matière, de cette poussière devenue forme, on pourrait reprendre Bachelard: Nous voulons consacrer nos efforts à déterminer la beauté interne des matières, leur masse d'attraits cachés, tout cet espace affectif concentré à l'intérerieur des choses.

La matière est aussi une expérience onirique. Et Hello peut écrire: La sculpture, c'est la matière à son maximum de densité.

Par alchimie, l'homme sort de la matière. Il y a transmutation: la verticalité comme naissance du sacré. Ce n'est pas encore l'homme en marche, l'homme de l'histoire, l'homme déchiqueté de Giacometti. C'est l'homme à l'aube du monde. Le cosmos émerge du chaos. Ces élongations de brume d'un homme inachevé entrent dans nos vies, bousculent nos conforts.

Des visages nus, plats, limés. Ces hommes au visage vide, clos, nous regardent et, aveugles, ils rendent présent l'invisible.

Les yeux ne sont pas ici,
Il n'y a pas d'yeux ici.

Les yeux que je n'ose pas rencontrer dans les rêves
Au royaume de rêve de la mort
Eux n'apparaissent pas.

TS Eliot, "Les Hommes creux"

Mais si l'on a pu dire qu'un visage est un miracle, faut-il gravir notre nuit afin de reconnaître le dessin d'un visage issu du fil à plomb (Yeats, poème "Les Statues").

Peut-être que l'art existe pour ouvrir des possibilités inconnues de notre être. Pour Plotin nous possédons nous-mêmes la beauté quand nous sommes fidèles à notre être propre.

La beauté n'est pas évasion, mais pouvoir de transformation qui nous invite à un travail personnel. Peut-être que cela dérange et nous préférons ne pas voir.

De même que le lecteur est créateur de sa lecture, de même le contemplateur est maître de sa vision.

Alors si la vision du Beau rejoint notre regard ordinaire, une façon de voir peut naître qui purifie de façon décisive notre manière de vivre.

Et quand nous sommes prêts de quitter ce lieu de l'être, après ce voyage intérieur, nous sommes plus près du monde ouvert par le koan zen: Montre ton visage original, celui que tu avais avant d'être né.

C'est ce monde que notre explorateur nous indique par quelques signes.

Mais il y aura encore d'autres moments, d'autres mutations dans l'avancée de Solvès.

Alexandre Lhotellier Juin 1999